Canjuers: Le Domaine
Camp militaire de Canjuers, Pourquoi autant de richesses ?
Avec ses 35 000 hectares le Camp Militaire de Canjuers est le plus grand champ de tir d’Europe. Créé au début des années 1970 par expropriation, le terrain militaire a, en quelque sorte, “gelé” environ 6 % de la surface du département du Var et a évité les pressions agricoles, touristiques, économiques et spéculatives.
Certes, depuis plus de 30 ans, des millions d’obus et de missiles se sont abattus sur ces terres arides et des centaines de milliers de soldats, appelés ou de carrière, appartenant à une dizaine de pays ont arpenté ces pistes et ces sentiers avec des milliers de chars d’assaut.
La faune ne s’est pas enfuie, au contraire elle a trouvé un refuge. La flore n’a pas disparu et elle s’est maintenue bien mieux qu’en d’autres secteurs apparemment moins fréquentés ou même officiellement protégés.
Est-ce un hasard ? Le milieu était-il à l’origine d’une extrême richesse ? Faut-il faire l’apologie de l’Armée comme gestionnaire de site ?
Comme toujours en environnement le problème est complexe et les questions ci-dessus ont des réponses multiples.
Je crois tout d’abord qu’il faut exclure le hasard ; une aussi grande richesse biologique n’aurait pas pu se maintenir sur une aussi grande superficie pendant aussi longtemps, dans des domaines aussi variés que l’entomologie, l’ornithologie, la botanique, la mammalogie et l’herpétologie, par une succession de coups de chance…
Le milieu naturel était-il à l’origine d’une extrême richesse ?
Je crois que l’on peut, sans crainte de se tromper, répondre par l’affirmative.
Les données anciennes des botanistes varois (en particulier Abel Albert qui a séjourné à Ampus à la fin du XIX ème siècle) et des ornithologues (notamment le Colonel Besson qui a patiemment sillonné les Alpes du Sud dans les années 1960/1970), nous montrent clairement que ces hauts plateaux steppiques, bordés par les premières grandes forêts méditerranéennes de hêtres, de pin sylvestre et même de sapins, et entrecoupés de gorges et canyons permettaient la convergence des faunes et des flores méditerranéennes et alpines. Les inventaires quantitatifs récents ont largement confirmé leurs analyses.
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- Plus de 100 espèces d’oiseaux nicheurs (sur les 163 espèces nicheuses dans le Var), dont des espèces prestigieuses comme l’aigle royal, le tétras lyre ou l’outarde canepetière ainsi que l’une des plus belles populations de perdrix rouges sauvages de Provence.
- Des cortèges floristiques exceptionnels où se mêlent les influences alpines, méditerranéennes et ligures avec comme point d’orgue une petite fougère endémique la doradille du Verdon (Asplenium jahandiezi), mais aussi de splendides stations de messicoles, de lis de Pomponne et de pivoine voyageuse.Des communautés d’insectes extrêmement abondantes tant en espèces qu’en individus : de la rosalie des Alpes au criquet hérisson.
- La diversité des habitats et la richesse en insectes se traduisent par la présence de 13 espèces de chauves souris.
- tous les serpents de Provence (10 espèces) avec une des 12 populations françaises de la rarissime vipère d’Orsini.
- Peuplement exceptionnel en grands mammifères avec quatre espèces d’ongulés (sanglier, cerf, chevreuil et chamois) et 2 grands prédateurs : le loup et le lynx.
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L’Armée a t-elle géré le site de manière exemplaire ?
Même si la gestion du Camp par les militaires n’a probablement pas été réalisée dans une stricte optique de protection de la nature, on peut dire qu’un certain nombre de contraintes caractérisant les terrains militaires sont globalement favorables à la faune et à la flore :
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- Restriction des accès aux personnes pour des problèmes de sécurité (tirs de canons) : favorable à la faune.
- Restriction du linéaire de routes ouvertes à la circulation des civils traversant le camp : favorable à la faune.
- Fermeture totale de certains secteurs, réceptacles de tirs : malgré le bruit … favorable à la faune.
- Ouverture volontaire du milieu végétal (parefeux en bordure extérieure du camp et pare-feuxautour des réceptacles de tir) : favorable à la faune et à la flore.
- Ouverture (involontaire) du milieu par de petits incendies favorisant la biodiversité : favorable à la faune et à la flore.
- Restriction de la pression de chasse (favorable à la faune) : 400 chasseurs sur 35 000 ha (un tiers de la surface est en réserve depuis 1969, les deux tiers restants ne sont ouverts que s’il ne s’y déroule pas de manoeuvres ni de tirs) ; chasse ouverte seulement 3 jours par semaine ; prélèvement maximum autorisé pour le petit gibier sédentaire et migrateur.
- Création de cultures à gibier et entretien des pare-feux par le sylvopastoralisme : favorable à la faune et à la flore.
- La gestion des forêts (parmi les plus belles du département a été confiée à l’Office National des Forêts.) : favorable à la flore et la faune.
- Et surtout absence de tout type d’agriculture depuis plus de 30 ans (donc, ni herbicides … ni insecticides) ; cela est particulièrement rare sur une aussi grande durée et d’aussi grandes surfaces et s’avère être extrêmement favorable à la flore et à l’entomofaune, ce qui se répercute tout au long des chaînes alimentaires.
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Philippe Orsini Conservateur du patrimoine au Muséum d’Histoire Naturelle de Toulon Ancien président du CEEP